Blog

23 Apr 2016

Faire l'écrivain!

Que faut-il pour faire écrivain ?

Redoutable question à laquelle il faut bien répondre, tant nous sommes nombreux à  fréquenter la chose plumitivante, et surtout sommes  en proportion non négligeable prédisposés à caresser langoureusement du papier qui se verra reconverti en « mon roman ».

Inutile de préciser que les lignes à venir sont de pures idioties. Nécessaire de rajouter que ce billet est récupéré d’un précédent blog, qui l’avait lui-même récupéré sur celui que je tenais encore avant (etc.), dans une bien lamentable tradition de recyclage. Au moins, ceux qui débarquent ici pourront prendre connaissance de mes plus profondes réflexions en termes de théorie littéraire, sans avoir besoin que je signale leur existence là-bas très loin où ils n'iront pas voir, paresse oblige.

 

Donc, disais-je, pures idioties. Quoique. Mais je vous laisse juge.

 

Les impératifs sont :

 

1. Du papier, ou n’importe quel support permettant l’écriture, quoique nous devions déconseiller le sable mouillé d’une plage à marée basse.

2. Un crayon, stylo, ou n’importe quel outil permettant de tracer les signes délicieux qui constitueront, pour finir, votre extraordinaire best-seller vendu 2,65€ TTC aux copains (tirage limité, paru aux presses de la boutique à photocopies du coin, attendu que les éditeurs se sont bousculés pour vous trouver d’un intérêt moindre que Loana). Le doigt peut être utilisé dans le sable d’une plage à marée basse, mais nous avons déjà dit que ce n’était pas vraiment pratique.

3. Le talent, en certaine quantité. Vous avez parfaitement le droit de croire que vous avez du talent et ne pas en avoir, puisque ça ne vous empêchera pas d’écrire. D’être édité, oui, mais c’est une autre question.

4. Le courage. C’est qu’écrire sur le sable d’une plage, quand la marée monte…

5. L’obstination. A savoir, recopier perpétuellement quelques mètres plus loin ce qui va être dévoré par la marée montante, ça en demande plus que vous voudrez l’imaginer. Ou alors une bonne dose de connerie. Est-ce que Zola écrivait sur la grève, lui ? Non. C’est bien pour ça qu’il a pu se faire publier, parce qu’essayez de trimballer une plage chez un éditeur… Courage et obstination seront également de règle chez les génies qui ont découvert tout seuls qu’un crayon et du papier, c’était vraiment mieux. Sans se rendre compte au départ qu’en se lançant dans le roman, ils en prenaient pour très très long, et que ça pouvait devenir vraiment exaspérant. L’écrivain est donc courageux, obstiné, et masochiste. Surtout qu’il se rend bien vite compte que le premier jet n’est qu’une étape, et qu’ensuite, c’est galère pour corriger, affiner, laisser mûrir, recorriger, raccourcir, sabrer, tailler dans le vif, greffer une scène, allonger de quelques pages, les supprimer, avoir des regrets, se saouler, réécrire, recorriger, recopier (trop saoul, a vomi sur le manuscrit), taper sous oueurde, retaper sous oueurde (un bug ayant remplacé le texte par des ###########), en avoir franchement plus que marre, retourner se saouler, dégriser au poste de police en compagnie de péripatéciennes aux biographies trépidantes (cet épisode donnant des idées pour un nouveau roman), reprendre le torchon de zéro, corriger, affiner, laisser mûrir…

6. Le côté torturé, tête-à-Houellebecq, BHL en pleine gastro, c’est en option, mais forcément ça en jette dans les réceptions mondaines, beuveries estudiantines, et autres soirées grégaires. Laissera de marbre les proches qui ne supportent plus la négative-attitude de l’écrivain méconnu qui se la joue maudit-incompris, et sera fort peu opportun pour draguer la sublime jeunette / le beau ténébreux qui n’ont pas forcément envie de causer avec quelqu’un qui a l’air de préférer se pendre chaque soir plutôt que de ricaner devant n’importe quelle émission de télé-réalité.

7. Le sens de l’humour, quoique incompatible avec la tête de désespéré génial que vous tentez d’aborder (voir point précédent), sera bien évidemment utile pour railler Pif Gadget qui vous a encore refusé une nouvelle policière sous des prétextes fallacieux, et Albin Michel qui vous suggère de vous lancer du haut de la tour Eiffel plutôt que de continuer à leur envoyer vos romans sans débuts, sans milieu, et sans fin quoique d’une brièveté remarquable (dix pages, on ne cesse de vous le répéter, ça ne fait pas un roman, et dans votre cas même pas une nouvelle).

8. L’humilité. La conscience humble de n’être la géniale Loana (fabuleuse plume que d’aucuns, les ingrats, ont déjà oublié) vous permettra de supporter la floppée de refus que vont vous adresser les éditeurs. D’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à prendre ce pseudo ridicule, André Mineur ? Un conseil, conservez toutes les lettres de refus, et tentez ultérieurement de les faire publier en recueil. On ne sait jamais, ça pourrait marcher. Il y a des bouquins parfaitement idiots qui se vendent très bien. [Votre courroux suite à cette dernière phrase dénote votre manque d’humilité : il va falloir faire des efforts…]

9. L’originalité. Ayez un style bizarre, des idées baroques, évitez de réécrire Roméo et Juliette simplement en y ajoutant des scènes de sexe à faire pâlir les moins prudes (et à renvoyer Fifty Shades of Grey dans le rayon littérature enfantine). À défaut, ayez une apparence étrange, exacerbez le point 6. Si vous vous retrouvez en tête de gondole en ayant pondu une modernisation romanesque de Titus Andronicus (un Shakespeare plus que limite gore), ce sera bien de la malchance. Si on vous embarque pour l’asile, les autres écrivains (qui s’en réjouiront secrètement) ne manqueront pas de relever gravement que vous aurez été jusqu’au bout de vous-même, avec un courage et une obstination inébranlables et remarquables.

10. L’inspiration, de préférence en bord de plage à marée basse alors que vous n’avez ni papier ni stylo. Les éditeurs et les autres écrivains en herbe rêvant d’être publiés ne vous remercieront jamais assez, les uns de ne pas avoir encombré leur poubelle avec un manuscrit de plus, les autres parce que comme ça, ils auront peut-être leur chance.

 

Ces dix points, qui ne sont pas limitatifs et peuvent s’orner d’options variées, sont je crois les bases de toute carrière littéraire. Car il est évident que désormais, moins qu’écrire, il faut donner l’illusion qu’on est écrivain, quand bien même ne serait-on pas assez doué pour rédiger les blagues qui figurent sur les carambars ou dans les emballages des festives papillotes dont la teneur en véritable cacao est, je dois le dire, indéniablement ridicule.

track